Espagne

J’ai connu le silence
dur comme une améthyste
sur les murs blancs ruisselants d’ombre,
dans le recueillement des saints.

Dehors, la poussière du monde.

J’ai connu la ligne pure,
coupure, incision,
dans l’étoffe du temps,
d’une voix à six cordes.

Les sabots d’un cheval
faisant crisser le thym,
et soulevant des nuées
d’habitants invisibles.

Au loin,
des hordes de montagnes
faisaient danser l’horizon
dans la chaleur frangée.

Les voix de femmes
façonnaient les fontaines
et les enfants jouaient
à ignorer les pierres.

Les églises éclairaient
la lenteur des passants
et les cuirs s’embaumaient
au repos des osiers.

Les grandes terres lointaines
aiguisaient les couteaux
qui rougissaient de sable
l’échine des taureaux.

J’ai connu cette terre
brisée d’odeurs fraîches
comme une jarre partagée
dans la brûlure des ocres.

Une terre d’hommes sculptés
par la fière appétence
de leurs éclats de rêves 
et leurs orgueils d’amour.

Et toujours la danse
et les rires de liqueurs
entrechoquant les chants
jusqu’au lointain des nuits.

J’étais bien sous le ciel
de cette terre maternelle
il me le rendait bien.

J’ai connu tout cela
et tant de choses encore
et tout ce qui m’ignore
que je ne connais pas.

De ce corps exilé
d’une terre maternelle
qui fait battre mon sang
comme belle compagne.

Je fus enfant d’Espagne.