Umaniti

Dominique Radisson {Textes, poèmes & autres}

Merci Russell

Russell Delman

Hier et avant-hier, stage avec Russell Delman. J’avais fait sa connaissance l’avant-veille au restaurant, je l’ai découvert dans sa pratique. Une très belle présence, une profondeur de parole non feinte, fruits d’un engagement de longue date, d’une sincérité et d’un engagement qu’on sent totaux; un regard profond, un sourire aussi, et une façon de se moquer de lui-même en éclatant d’un rire sonore, frais et joyeux, voila ce que dégage Russell.

“Pouvez-vous vous remémorer une scène de votre vie où vous avez eu la perception nette d’être imprégné(e) par la grâce et la dignité, quelle qu’en soit la valeur?”.

L’invitation de Russell me laisse perplexe. La grâce oui, parfois, je la connais, lorsque mes pieds de danseur de nuages me font la grâce, justement, de me visiter. Ces moments où le ciel repose sans poids sur mes épaules. Ou encore ces quelques mouvements parfaits que j’ai pu accomplir dans le wutao, le taiji quan ou l’aîkido, où je ne faisais pas le mouvement mais où il se faisait par moi, opérait à travers moi. Ces quelques rares et précieux moments…

Mais la dignité ? Je me suis longtemps résigné à m’en sentir dépourvu, confondant et mélangeant pêle-mêle sentiment de culpabilité, actions ou paroles mensongères et lâcheté dans le brouet du jugement. Qu’en est-il aujourd’hui ? Je dois me rendre à l’évidence : rien ne me vient spontanément!
Je ne dois pas être le seul dans ce cas, car Russell nous propose de faire appel à des figures du “monde plus grand”, et nous témoigne que pour lui, un des hommes qui incarnent ces qualités est Martin Luther King Jr. Il nous conte l’anecdote suivante : apostrophé violemment devant les caméras par un blanc sudiste typique, agressif et colérique, qui finit par lui cracher dessus, Martin Luther King sort tranquillement son mouchoir de sa poche, essuie le crachat sur sa veste et le tend à son agresseur en disant calmement : “Excuse me Sir, i believe this belongs to you”.

Je pense à Nelson Mandela. Puis à Jésus , au Bouddha. D’autres images me viennent des portraits de chefs indiens ou aborigènes, des femmes africaines, des guerriers tribaux. Dans mon paysage d’homme blanc “civilisé” du XXIe siècle, la grâce et la dignité sont incarnées soit par des figures spirituelles, soit par des représentant(e)s de peuples asservis et massacrés par mes ancêtres.

Dans son enseignement riche de la sagesse du zen, la manière qu’a Russell de nous inviter – sans jamais imposer – à intégrer dans le même moment et dans le même espace nos sensations corporelles — ressentis, émotions, pensées — est bienfaitrice. De même lorsqu’il nous invite à recevoir profondément le témoignage de chaque participant, à le laisser entrer en nous, résonner, afin d’enrichir notre palette de mots et d’augmenter la plasticité de notre cerveau à nommer et ressentir, les deux allant de pair.

La méthode Feldenkrais qu’il enseigne conjointement à la méditation, est là, avec sa grande trace d’intelligence de création, pour nous aider à déprogrammer les habitudes de notre corps. Même si son aspect partitionné heurte quelque peu l’amoureux que je suis des disciplines corporelles asiatiques plus globales, je dois reconnaitre que cette session a fait du bien à mon corps. Preuve en est qu’un découpage analytique rigoureux et méticuleux n’est pas incompatible avec la construction d’un tout qu’on recherche, par exemple dans l’aïkido, le taiji quan ou le wutao, mais est son complémentaire. Car, pour les avoir enseignées, je connais aussi la difficulté que peuvent poser ces disciplines, précisément par la référence systématique à ce centre d’où tout part et tout revient, bien énigmatique pour la majorité des débutants. Lorsque le corps global n’est pas encore construit, comment sentir cette globalité par laquelle il se construira ? En même temps but et moyen, le paradoxe est bien réel.

Russell se retire avec cette magnifique invitation : “Remercions les dix mille erreurs que nous commettons tous chaque jour, moi le premier. Soyons d’une immense bonté envers les parties fermées de notre être, et si nous voulons vraiment changer, faisons de cette volonté de changement le centre de notre vie”.

Merci Russell.