Lettre au Gecko

Ia ora na Gecko,
Te souviens-tu de Tahiti,
De cet éperon de roche
Qui nous rendit si proches
Et nous baptisa amis ?

En ce matin tu souffres,
La tendre île est bien loin
Et sa mer tiède et douce
N’est plus que lave de nuit.

Le plus que dur est là
Qui te broie ce matin.

Alors, voici une clé :
Elle peut t’aider beaucoup.

Peux-tu vivre ce matin
Comme si tu venais d’arriver
Sur terre, pour la première fois?

Comme si tu n’avais eu
Ni famille, ni amis,
Ni expérience aucune ?

Sens-tu quel goût ça a,
Ne serait-ce qu’une seconde ?

La légèreté,
La fin du poids,
Nulle attache,
Nulle accroche,
Tout l’espace disponible
Rendu à ce qui est.

Une fois senti,
Une fois seulement, cela suffit,
Le chemin est ouvert.

Au cœur de la tourmente,
Au plus dur,
Au plus douloureux,
Il n’y a plus que le cœur,
L’amour
Et la présence,
Et le temps lui-même
Dissous dans les fleurs du vivre.

Gecko, ça fait mille ans
Qu’on nous enseigne cela.
Cette recette est vieille
Comme la pierre des Bouddhas.

J’entends le bruit de la ville,
Et le chantier tout proche,
Et le chant des oiseaux.
Entends-tu, toi aussi, tout cela ?

Tu sens,
Tu vis,
Pour la première fois.
Tout est frais,
Tout est neuf,
Tout est premier.

Te voilà sans histoire
Et donc sans blessures,
Comme si tu avais, la veille,
Assisté au cortège
De ton propre enterrement.

Ta vie s’est arrêtée,
Mais la vie continue.

Gecko,
Te souviens-tu des perles de Tahiti ?
Car c’est ici que cette histoire,
Révèle son joyau :

Si tu étais mort hier,
Bien trop tôt, bien trop mal,
Et que par un miracle
Tu puisses revenir
Ici même, maintenant,
Comment vivrais-tu cet instant ?

Ne sentirais-tu pas
Que tout est différent ?

Qu’une félicité sans nom
Aime couler dans tes veines,
Te faire sentir, dire, chanter,
crier même, à quel point
Vivre est miracle des miracles ?

Et ce simple miracle,
Tu peux choisir qu’il se produise
A chaque instant.

À chaque respiration,
célèbre cela :
tu es vivant,
tu respires,
tu aimes.

Oublie tes blessures vieilles,
Et les affronts reçus,
Sois comme si tout ceci
N’avait été qu’un rêve !

Alors Gecko inspire,
Et expire,
Et rien d’autre.

Tu respires et tu vis,
Tu vis et tu respires.

Ce souffle d’amitié,
Nous lie et nous relie,
Écoutons-le chanter,
Célébrons-le, veux-tu ?

Tu vis et je respire,
Je respire et tu vis,
Et ainsi va la vie.

Gecko,
Mon cher ami.