Pendant ce temps, en Angleterre, un projet de jeu environnemental baptisé Wild About Play a demandé aux enfants ce qu’ils aimaient le plus faire à l’extérieur, et la réponse était de collecter et manger des aliments sauvages, de faire des feux pour y cuire des aliments. C’est le symbole de l’indépendance montrée par les enfants du monde entier, le contrôle de leur propre nourriture et de leur propre corps. Il semble que les enfants euro-américains modernes ont deux expériences inhabituelles liées à la nourriture : premièrement, ils n’ont pas d’autonomie précoce en ce qui concerne la nourriture et deuxièmement, ils font pourtant face à des problèmes d’alimentation.
Quant à la liberté physique, il y a quelques années j’ai passé une journée avec les enfants de gitans de la mer, le peuple Bajau qui vit sur les côtes de l’île de Sulawesi dans des maisons sur pilotis bâties loin au large. Les enfants étaient nageurs et plongeurs, faisaient du bateau et du Kayak, arrosés d’eau de mer nuit et jour jusqu’à paraître mi-loutre mi-humain. Je leur ai demandé à quoi ressemblait leur enfance. La réponse a été immédiate : “Les jeunes ont une enfance heureuse, parce qu’ils ont beaucoup de liberté.” Si le bonheur résulte de la liberté, alors le malheur des enfants occidentaux de nos jours est sûrement causé en partie par le fait qu’ils sont moins libres qu’aucun enfant ne l’a jamais été au cours de l’histoire.
J’ai été frappée par le bonheur évident des enfants de Bajau : ayant passé toute une longue après-midi avec environ 100 d’entre eux, pas un seul ne pleurait, pas un seul n’était en colère, malheureux ou frustré. Je ne peux pas imaginer passer une après-midi avec 100 enfants européens ou américains sans entendre une seule fois un enfant pleurer.
En Europe, un pays semble avoir privilégié le lien entre la liberté et le bonheur de l’enfance d’une manière que les enfants gitans de la mer auraient compris : la Norvège. Un pays de lacs et de fjords, un pays qui a inscrit dans la loi un droit ancestral de faire du canoë, de ramer, naviguer et nager, de se promener à travers toutes les terres (à l’exception des jardins privés et des champs cultivés) en une liberté connue sous le nom de “Allemannsretten”, “le droit de chaque homme”, le droit de vagabonder.
En 1960, le psychiatre américain Herbert Hendin étudiait les statistiques de suicide en Scandinavie. Le Danemark (avec le Japon) avait le taux de suicide le plus élevé au monde. Le taux de la Suède était presque aussi élevé, mais que dire de celui de la Norvège? Tout en bas de la liste. Cela a éveillé la curiosité d’Hendin, tout particulièrement à cause de l’idée reçue qui veut que le Danemark, la Suède et la Norvège partagent une culture semblable. Qu’est ce qui pourrait expliquer une telle différence ? Après des années de recherches, il a conclu que les raisons remontaient à l’enfance. Au Danemark et en Suède, les enfants grandissaient avec une discipline stricte, tandis qu’en Norvège ils étaient libres de se déplacer. Au Danemark et en Suède, les enfants subissaient des pressions pour être les meilleurs à tel point que beaucoup finissaient par s’estimer ratés, tandis qu’en Norvège on les laissait beaucoup plus tranquilles, pas autant instruits mais simplement autorisés à regarder et participer à leur propre rythme. Au lieu d’un sentiment d’échec, les enfants norvégiens ont grandi avec un sentiment d’autonomie.
L’étude a montré que les enfants danois étaient sur-protégés, rendus dépendants de leur mère et n’avaient pas le droit de se déplacer librement. En Suède, il était courant qu’à ce moment de l’enfance où les petits avaient besoin de proximité on leur impose une séparation engendrant un sentiment d’abandon alors que plus tard dans l’enfance au moment où ils avaient besoin de liberté, on leur pose beaucoup trop de limites. Les enfants norvégiens jouaient en plein air pendant des heures sans la surveillance des adultes et la liberté d’un enfant n’était pas “susceptible d’être limitée”. Ils avaient plus d’intimité avec leurs parents que les enfants suédois à un âge précoce, mais ensuite plus de liberté que les enfants danois et suédois à un âge plus avancé, ce qui suggérait que la proximité affective suivie de liberté produit vraisemblablement les enfants les plus heureux.
Malheureusement, dans les décennies qui ont suivi le travail d’Hendin, au fur et à mesure que la Norvège est devenue plus centralisée et plus urbanisée, l’enfance s’est modifiée. Les enfants norvégiens passent désormais plus de temps à l’intérieur à s’adonner à des activités sédentaires, comme regarder la télévision ou des DVD et jouer à des jeux informatiques, qu’à jouer à l’extérieur. Le taux de suicide est maintenant beaucoup plus élevé.